Interview avec Cheick Oumar TOUNKARA
Doctorant – Enseignant chercheur
La crise sanitaire qui secoue le monde aujourd’hui a eu pour conséquence de créer des dysfonctionnements notables dans presque tous les secteurs d’activité. Au Maroc, comme dans tous les pays touchés par le Covid-19, des mesures ont été adoptées afin de permettre d’une part une lutte efficace contre cette pandémie. D’autres parts, ces mesures permettent d’assurer un fonctionnement normal de certains secteurs d’activité compte étant tenu de leur rôle très important dans la vie quotidienne. Or, les mesures prises dans le cadre de la lutte contre cette pandémie n’ont pas manqué de créer quelques dysfonctionnements dans l’exécution des obligations réciproques liant certains professionnels au point de s’interroger sur une possible invocation de la force majeure dans le but d’éviter la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du débiteur défaillant. Afin de comprendre les possibilités juridiques offertes à l’entrepreneur confronté à l’impossibilité d’exécution de ses engagements contractuels, DADUPA est allé à la rencontre de M. Cheick Oumar TOUNKARA, Doctorant et Enseignant Chercheur en droit des affaires, qui fournit ici les éclaircissements nécessaires.
Que recommandez-vous comme technique contractuelle dans la gestion des crises?
Il est judicieux de prévoir dans les conventions au moins des clauses relatives aux imprévisions et aux cas de force majeure.
La première permet de renégocier ou de rompre le contrat lorsqu’un changement de circonstances, imprévisible au moment de la formation du contrat, rend son exécution excessivement onéreuse pour l’une des parties.
La seconde permet aux parties de décider d’adopter une conception plus restrictive ou plus large que celle que retiennent la loi et la jurisprudence. Une clause peut même supprimer la possibilité d’invoquer un cas de force majeure, auquel cas le débiteur est alors tenu d’une obligation de garantie. Cependant ce genre de clause peut constituer une clause abusive dans les contrats d’adhésion.
Peut-on invoquer le Covid-19 comme un cas de force majeure ?
La force majeure est tout événement imprévisible, insurmontable et extérieur au débiteur. En somme, c’est tout fait que l’homme ne peut prévenir et qu’il n’a pas pu éviter alors qu’il aura déployé toute diligence pour s’en prémunir.
C’est donc dire que la crise sanitaire actuelle liée au COVID-19 pourra être invoquée comme cas de force majeure dès lors que ses effets n’avaient pas été prévus par les parties au moment de la conclusion du contrat. Ce sera notamment le cas pour les contrats conclu avant la première semaine de mars 2020.
Aussi, il faut que l’exécution de l’obligation soit rendue impossible du fait des mesures sanitaires prises. Cependant, il ne sera pas possible d’invoquer la crise du COVID-19 parce que l’exécution de l’obligation a été rendue difficile ou onéreuse.
Enfin, par principe, le débiteur ne pourra pas non plus invoquer, dans cette situation, la force majeure dans le but de se soustraire de son obligation de paiement d’une somme d’argent. Seules les obligations de prestation matérielles sont concernées. Mais lorsque l’obligation réciproque porte sur le paiement d’une somme d’argent, l’exception d’inexécution peut être invoquée par l’autre partie en cas de suspension de l’exécution d’une prestation matérielle sur le fondement de la force majeure.
Que faire en l’absence de dispositions spécifiques sur la force majeure dans un contrat ?
Si les parties n’ont pas pris le soin d’encadrer la définition et les effets de la force majeure dans leur contrat, elles n’auront d’autres choix que d’appliquer les dispositions légales en la matière (articles 268 et 269 du Dahir formant Code des Obligations et Contrats – Code Civil Marocain). Le premier article exonère le débiteur du versement de dommage et intérêts. Le second porte sur la définition de la de force majeure.
Que faire si notre co-contractant nous notifie la mise en jeu de la force majeure ?
Ce qu’il ya lieu de faire c’est déjà de s’assurer que les faits invoqués sont constitutifs de cas de force majeure. Ensuite vérifier s’il s’agit d’un empêchement définitif ou temporaire. Lorsque l’empêchement est temporaire, le débiteur peut suspendre l’exécution de l’obligation pendant la durée de l’empêchement. Lorsque la suspension de l’exécution de l’obligation devient trop grave ou insupportable pour l’autre partie, cette dernière pourra décider de la résolution ou de la résiliation du contrat si ce retard le justifie bien évidemment.
Lorsque l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations.
À propos de l’interviewé
Cheick Oumar TOUNKARA
- Doctorant – Enseignant chercheur
- Groupe de Recherche en Droit des Affaires et Fiscalité
- Université Cadi Ayyad- Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales de Marrakech (UCAM-FSJES)
- UPM – Université Privée de Marrakech